MERCREDI 07 NOVEMBRE 2018 – LE FIGARO

REPORTAGE

Image – La Réunion, qui vise l’autonomie énergétique d’ici 2030,  affiche de belles références dans les énergies renouvelables, a l’image de la PME Akuo Energy (Ici une ferme photovoltaïque)

PIERRE MARCHAL

Les entrepreneurs réunionnais rayonnent loin de leur île

Le département d’outre-mer a été labellisé French Tech il y a deux ans. Et pour cause : c’est une pépinière de jeunes sociétés innovantes.

THOMAS LESTAVEL @lestavelt

Début octobre, les équipes de huit fonds d’investissement de la métropole se sont envolées pour La Réunion dans le cadre de l’événement NXSE, le forum tech de l’Afrique et de l’océan Indien. Ces capital-risqueurs y ont rencontré des PME innovantes installées sur une île plus connue pour son volcan et ses paysages de rêve que pour ses start-up.

Trois fois plus petit que la Corse, le département d’outre-mer perdu dans l’océan Indien, à 9000 kilomètres de Paris, peut se targuer de quelques réussites technologiques. La jeune pousse Orika, par exemple, réalise les trois quarts de son chiffre d’affaires à l’exportation avec sa solution de caisse et de gestion commerciale pour la distribution qui a conquis Carrefour. Auchan ou encore Celio. Exodata, société de services Informatiques, assure une maintenance 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 grâce à sa présence sur trois continents avec des équipes aux Antilles et en Nouvelle Calédonie. Elle a su convaincre des géants comme Renault, Air Liquide et Orange. Le département ultramarin, qui vise l’autonomie énergétique d’ici à 2030, affiche également de belles références dans les énergies renouvelables, à l’image de News Solaire et Akuo.

Mais c’est dans l’e-santé que l’ile a su se distinguer, au point d’entrer dans le réseau French Tech en 2016 – un gage de visibilité appréciable pour les entrepreneurs locaux. Deux sociétés réunionnaises, en particulier, font référence dans les technologies appliquées à la médecine, les « medtech ».

À Saint-Pierre, dans le sud de l’ile, la jeune pousse Logipren a conçu un logiciel d’aide à la prescription de médicaments pour les nouveau nés. Elle est partie du constat qu’une ordonnance sur six en néonatologie comportait une erreur médicamenteuse potentiellement dangereuse pour le nourrisson. Médecin aux CHU de Dijon puis de La Réunion, la fondatrice Beatrice Gouyon a fait mouche avec sa solution lancée en 2014 qui équipe de la moitié des services de réanimation néonatale en France. Elle met à présent le cap sur l’international. « Nous avons rencontré neuf hôpitaux au Japon qui se sont montrés intéressés par Logipren » , confie au Figaro la dirigeante, mère de cinq enfants, qui se rend en métropole « au moins une fois tous les deux mois » pour voir des prospects, des Investisseurs ou participer à des congrès.

Sa cadette Anne-Laure Morel a fondé la société Torskal qui élabore un traitement ciblé du cancer à partir de nanoparticules composées d’or et d’ambaville, une plante endémique de La Réunion aux propriétés antioxydantes. Lauréate du French Tech India en 2017, la chimiste de 37 ans vient de signer un partenariat avec un hôpital militaire en Chine pour lancer les tests précliniques sur des animaux. Sa start-up, qui est hébergée au technopole Saint-Denis, a déjà dépensé un million en recherche et développements.

 

Un cadre fiscal favorable

Ici comme ailleurs, les start-up connaissent des destinées variables. Encensée par la presse il y a encore un an pour son échographe portatif pour tablettes, la société Oscadi est ainsi en train de licencier tous ses salariés et semble vouée à la faillite. Mais les réussites sont tangibles et rayonnent à l’international. « Le marché intérieur est minuscule, moins d’un million d’habitants, du coup les entrepreneurs pensent au-delà de leurs frontières », rappelle Isabelle Albert, vice-présidente de Digital Réunion.

Les entreprises innovantes réunionnaises évoluent dans un cadre fiscal favorables. Elles bénéficient d’un crédit impôt recherche majoré par rapport à la France métropolitaine et d’une exonération de charges patronales grâce au dispositif Lodeom réservé aux départements d’outre-mer. En outre, les résidents de métropole qui investissent dans des PME ultramarines sont éligibles à une réduction d’impôt sur le revenu.  « C’est un véritable paradis fiscal ici » plaisante Yannick Berezaie, le Directeur Général du cabinet Isodom qui emploi quarante personnes à La Réunion et une douzaine d’autres à Montréal.

 

“On souffre d’une image d’amateurisme:

 La Réunion, c’est loin  et exotique…”

Yannick Berezaie

Directeur Général d’Isodom

 

« Ce qu’on gagne en incitations fiscales, on le dépense en billets d’avion et hébergement quand on se rend en métro pole pour rencontrer de futurs clients », nuance Moea Latrille, cofondatrice de la société Immersive Ways qui à modélisé le trajet du futur téléphérique de la capitale de Saint-Denis. La jeune pousse a été approchée par un partenaire saoudien pour réaliser des vidéos immersives sur un futur musée à ciel ouvert.

Reste que le problème du financement est encore plus criant ici qu’en métropole car la petite île de l’océan Indien échappe souvent aux radars des fonds d’investissement nationaux.

« On souffre d’une image d’amateurisme La Réunion, c’est loin et exotique… » résume Yannick Berezaie. « Les premières étapes  du développement sont relativement faciles à financer mais ensuite ça se corse » pointe Anne-Laure Morel. Elle a pu obtenir pour Torskal une avance de 350 000 euros de la banque publique Bpifrance et une subvention d’environ 300000 euros du Fonds européen pour le développement régional (Feder). Mais elle peine à lever des fonds auprès d’investisseurs privés.

Grâce au réseau Outremer Network, la pépite médicale dispose désormais d’un bureau à Station F. l’incubateur géant de Xavier Niel à Paris, ce qui facilite les démarches. Même chose pour sa compatriote Immersive Ways. « Deux développeurs freelance travaillent pour nous à Station F, et nous avons profité de ce bureau à Paris pour approcher des producteurs et des réalisateurs parisiens et leur proposer de tester notre version béta », décrit Moea Latrille. Présente au CES de Las Vegas l’an dernier, son entreprise prévoit de lever des fonds dans les prochaines semaines pour financer son expansion aux Etats-Unis l’an prochain. « Ensuite, nous attaquerons à l’Asie », ajoute Moe Latrille. Pas de doute, la fièvre entrepreneuriale française a traversé les hémisphères.